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Lecture analytique lettre de Gargantua à Pantagruel

Lecture analytique 1 : Rabelais, « La lettre de Gargantua à Pantagruel » : Pantagruel, chapitre 8 « Gargantua écrit à son fils Pantagruel une lettre pour l’exhorter à étudier »

Introduction : Le passage que nous allons étudier est un extrait de Pantagruel écrit par Rabelais, un humaniste du XVIème siècle. Après  avoir été moine et médecin, il transpose les réalités de son temps dans une œuvre qui retrace les aventures de géants. Pantagruel est le premier livre de cette fresque qui sert à caricaturer les travers de l’époque de l’auteur et de proposer un idéal de justice et d’éducation. Dans le chapitre 8, Rabelais reproduit une lettre que Gargantua envoie à son fils Pantagruel : après lui avoir rappelé combien les choses se sont améliorées depuis le MA, il incite son fils à développer ses connaissances.

Comment cette lettre d’ordre intime est-elle un manifeste de l’idéal pédagogique humaniste ?

I.Une lettre qui a plusieurs fonctions

            1.Une lettre intime

Cette lettre est placée au sein d’un roman qui raconte la vie de Pantagruel. Il s’agit d’un aperçu d’une correspondance entre un père et son fils :

-indices d’énonciation : marques de la 1ère et de la 2ème personnes du sg : « mon » « je » l1 et 12/ « te » « tu » (ll 44, l 13)

-termes affectifs « très cher fils », « mon fils » + signature « ton père »

-éléments épistolaires : mention du lieu et de la date d’expédition : « D’Utopie, 17 mars » : On note cependant que le lieu, UTOPIE constitue un élément romanesque car ce lieu, qui est le royaume de Gargantua, est imaginaire. Le nom commun utopie désigne un plan imaginaire de gouvernement pour une société idéale qui réaliserait le bonheur de chacun. Le terme est souvent lié au domaine du rêve, de l’irréalisable.

            2.Une institution du Prince

Il s’agit d’une lettre d’un père à son fils, mais aussi d’un roi à son successeur. Il est soucieux de l’éducation de son fils. Cette lettre prend donc la forme d’une institution du prince (ensemble de conseils éducatifs destinés à bien former un monarque)

  • nombreuses marques d’autorité : plusieurs injonctions exprimées de différentes manières :

-sens du verbe : « je t’admoneste » (l 12) « je veux que » (l15) suivi de plusieurs propositions conjonctives « que tu apprennes les langues », « que tu formes ton style », « qu’il n’y ait d’histoire… »

-impératifs : « continue » (l 22), « sache » (l22), « relis » (l30)

  • emploi du registre didactique

-champ lexical de l’éducation : « bibliothèques » (l 6), « savants » (l 6), « précepteurs » et « doctes » (l6), « études » (l 13), « instructions » (l14) etc.

-recours à des exemples et à des citations : l 16 « comme le veut Quintilien » = exemple d’autorité (rappel : les humanistes considèrent les Anciens de l’Antiquité comme des modèles) ; idem pour la citation indirecte « selon le sage Salomon » (l 43)

 

3.Le passage d’une génération à une autre

Dans le premier paragraphe de notre extrait, Gargantua insiste sur la différence en matière de connaissances et de savoirs entre son époque et celle de son fils (cf adverbe « maintenant »). Le rythme binaire « toutes les disciplines sont restituées, les langues établies » montre les progrès accomplis à la Renaissance : au MA beaucoup de manuscrits antiques avaient disparu et de nombreuses connaissances avaient disparu.

Il met ensuite en avant l’invention bénéfique de l’imprimerie : « des impressions si élégantes et si correctes sont en usage » : il critique de manière implicite les défauts des copies effectuées par les moines copistes qui ont fait des erreurs, y compris dans les traductions.

Enumération l 5-6 met en valeur la multiplication des sources de savoirs « de gens savants, de précepteurs très doctes, de bibliothèques très amples » : le rythme ternaire et la répétition de l’adverbe « très » renforcent cette idée.

Deux comparaisons qui insistent sur la supériorité de la Renaissance en matière de savoirs et connaissances : Gargantua considère que la Renaissance a même surpassé l’Antiquité  en matière d’accès à l’éducation « je crois que ni au temps de Platon, ni de Cicéron, ni de Papinien, il n’était aussi facile d’étudier que maintenant » et surtout que le MA, période d’obscurantisme, a pris fin grâce à la diffusion du savoir qui devient accessible à ts « je vois les brigands, bourreaux, aventuriers, palefreniers de maintenant plus doctes que les docteurs et prédicateurs de mon tps ».

II.Un manifeste de l’idéal pédagogique humaniste

            1.Un programme éducatif encyclopédique

La lettre propose une formation idéale qui correspond aux idéaux humanistes :

-apprentissage des langues anciennes : l 15-17 : l’adverbe « parfaitement » témoigne de cette maîtrise complète attendue ; l’énumération « d’abord la grecque », « puis la Latine », « puis l’hébraïque pour l’Ecriture sainte, ainsi que la chaldaïque et l’arabe »témoigne de cette volonté d’un savoir universel, encyclopédique

-allusion à la formation classique de l’époque : le TRIVIUM (ce qui relève de la maîtrise du langage : grammaire, langue, rhétorique = art du discours : l 40 41 « en soutenant des thèses publiquement sur toutes choses, envers et contre tous » + QUADRIVIUM (ce qui relève des sciences) : géométrie, arithmétique, musique (l20), astronomie (l 22)

-élargissement du savoir à tous les domaines : le droit, philosophie (l 23 24), sciences naturelles (25) , terme suivi d’une énumération qui témoigne de la volonté de connaissance totale de la nature (faune, flore, métaux), de même que l’injonction au subjonctif « que rien ne te soit inconnu » (l 29) ; médecine (cf formation de Rabelais et allusion au progrès de l’époque : dissections l31)

-un savoir complet qui allie l’intellectuel au physique : Pantagruel, en bon prince, doit être un bon chevalier : « apprendre la chevalerie et les armes » non pas dans une attitude belliqueuse et de conquête  mais attitude défensive et d’alliance « pour défendre ma maisons, et secourir nos amais »

à l’expression « un abîme de science » témoigne du gigantisme de cette éducation idéale (l 35)

            2.Des méthodes innovantes

Outre les contenus, les méthodes sont également novatrices et propres à l’idéal humaniste.

C’est un enseignement ouvert, non subi et c’est un enseignement en prise avec la vie. Ainsi Gargantua place sur le même plan l’enseignement du précepteur et celui de la ville. Deux voies coexistent : l’enseignement d’Epistémon (dt le nom signifie en grec « le savant »), soit un enseignement direct et l’enseignement indirect de la vie. Gargantua oppose implicite le savoir livresque et celui de l’expérience.

L’élève doit être actif et mettre en application son savoir pour s’intégrer dans la société : l’ignorance est synonyme d’exclusion : « Et dorénavant, celui qui ne sera pas bien poli en l’officine de Minerve, ne pourra plus se trouver nulle part en société » , Gargantua recommande à P de « fréquent(er) les gens lettres qui sont à Paris et ailleurs » (l 41 42)

            3.Une profession de foi évangéliste

-volonté de lire les textes religieux dans leur langue d’origine : l 16-17 « puis l’hébraïque pour l’Ecriture sainte »

-la dimension religieuse fait partie intégrante de l’éducation idéale comme le montre cet impératif suivi d’une énumération : « commence à  apprendre les Saintes Ecritures : d’abord le Nouveau Testament en grec, les Epîtres des apôtres, puis en hébreu l’Ancien Testament » + l 44 45 rythme ternaire « il te faut servir, aimer et craindre Dieu »

-ainsi savoir et vertu, savoir et morale doivent aller de pair : cf la doctrine célèbre « science sans conscience n’est que ruine de l’âme »  (l 44)

Ccl : Cette lettre qui occupe une place dans le déroulement de l’intrigue des aventures de Pantagruel, témoignant des conseils d’un père à son fils, d’un roi à son futur successeur, est avant tout un manifeste de l’idéal pédagogique humaniste. En effet, cette missive témoigne de l’appétit de savoir encyclopédie des humanistes, de leurs nouvelles méthodes d’accession aux connaissances. Elle oppose l’obscurantisme du MA aux progrès de la Renaissance qui met l’Homme au centre de ses préoccupations.

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