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le roi se meurt extrait 3

Publié le

Lecture analytique : le dénouement (dernière réplique de Marguerite)

Final de la pièce s’amorce avec la disparition successive des personnages (v. artifice scénique). Processus ultime où le mourant doit faire le deuil de sa vie et de tout ce qui l’a composée. Cela commence par les autres personnages. [p.124, disparition de Marie « il ne te voit plus » Marie disparaît brusquement par un artifice scénique ; p.128 disparition du garde et de Juliette « on ne vous abandonnera pas…le garde disparaît subitement Nous sommes là, près de vous, nous resterons là. Juliette disparaît subitement ; p.128 trois répliques plus loin, c’est le médecin qui s’en va « Excusez-moi majesté, je dois partir…se retire…il n’est plus là »]. Seule Marguerite reste avec lui pour lui servir de guide, d’initiatrice. Elle vit avec lui son passage vers la mort, l’accompagne dans un dépouillement progressif de tout ce qui a fait sa vie jusqu’à devenir la mort elle-même (sans connotation lugubre).

Tout comique a disparu au profit du fantastique, du symbole (voir la philosophie orientale) et de la poésie. + Dispositif scénique à commenter (Tout le décor est censé disparaître durant la tirade).

Problématique : En quoi cette tirade fait-elle office d’un rituel de passage métaphysique et théâtral ?

I.Marguerite, guide vers la mort

1.Parodie des rites de passage

Le rôle que joue Marguerite peut faire penser à une reprise détournée d’un mythe antique : celui du passeur. On peut en effet rappeler le personnage mythologique de Charon, le nocher des Enfers qui, sur sa barque, faisait passer les ombres errantes des défunts à travers le fleuve Achéron vers le séjour des morts. Ici point de rivière ni de barque mais la présence d’une « passerelle » que doit emprunter Bérenger pour quitter totalement la vie.

On peut aussi voir en Marguerite le guide qui permet au héros de descendre aux Enfers (cf Enéide, Virgile) mais en la parodiant car ici il s’agit d’une montée : « Monte encore plus haut ». Néanmoins, cette ascension n’est pas synonyme d’un accès au Paradis ou à un au-delà. Il n’y a pas de mort consolatrice chez Ionesco. La mort est le néant car elle signifie le renoncement intégral.

2.Une guide autoritaire

-emploi de l’impératif sous forme d’ordres : « Marche », « laisse-toi diriger » ou de défense « ne la perds pas de vue », « ne heurte pas »

-forme incantatoire des exhortations grâce aux répétitions ou anaphores : « Renonce aussi », « ne crains pas », « monte monte » + l 2149 « Plus haut, encore plus haut » (2 fois), « donne-moi » (3 fois)

-reprises et variation de certains termes : l 2151 2153 qui vise à l’effacement de Bérenger

3.Une protectrice face aux ultimes dangers

-Marguerite ne s’adresse pas seulement à Bérenger mais aussi à ceux qui veulent les détourner du droit chemin : didascalies (Au Loup), (A la vieille femme imaginaire)

-elle donne des ordres qui conduit à la disparition de ces menaces : l 2130 « Loup n’existe plus », pour les rats et les vipères « n’existez plus » « évanouissez-vous » jusqu’à la menace « où je vous frappe »

-dimension symbolique de ces apparitions qui veulent retarder Bérenger : différentes images effrayantes et fantastiques : loup,vieille femme imaginaire (personnages traditionnels des contes, le roi est confronté à ses peurs enfantines), ombre, mains menaçantes, gluantes, rats, vipères (autant d’entités inquiétantes et dangereuses). Le mourant est confronté à ses terreurs et à ses démons. Puis Bérenger est confronté à des tentations successives : la pitié et la charité représentées par le mendiant, l’envie représentée par la soif, la poésie et la beauté de la vie (les pâquerettes)

II.Sur le chemin du renoncement

1.Perte des fonctions vitales et sensitives

-perte progressive de la perception visuelle : au début de la tirade de Marguerite, le roi s’attache encore aux couleurs « il perçoit encore les couleurs » mais le terme de « monochromie » montre qu’il y renonce progressivement car il ne voit déjà plus qu’une couleur unique (l 2114 2116)

-renoncement à la soif l 2134 2136

-absence d’audition l 2139 2143

-perte de l’odorat l 2143 2144

-perte de la parole : individu dans l’impossibilité de communiquer, solitude de la mort

2.Une dépossession du roi

-perte d’un des attributs du pouvoir royal : « le gourdin » cad le sceptre transformé ici en arme. Or, le roi ne doit plus lutter mais accepter sa finitude.

-dépossession physique dans une sorte de démembrement du corps du roi : haut p 109 dans une énumération qui n’est pas sans rappeler le compte à rebours inéluctable lancé au début de la cérémonie. En arrive jusqu’au cœur qui devient lui mm inutile = signe clinique de la mort.

-à tel point dépossédé de lui mm que Marguerite devient un « miroir sans image » = métaphore de la mort, absence de reflet car le roi est contraint à l’inexistence. Et cette inexistence se traduit aussi dans la disparition du décor : le royaume disparaît à la suite de l’évanescence du corps du roi (didascalie finale)

3.Disparition du temps

-haut p 108 : parallélisme de construction : « cela t’égare encore, cela te retarde » avec jeu de sonorités similaires : la cérémonie doit s’achever, il faut que Bérenger soit dans les temps

Rythme ternaire « tu ne peux plus t’attarder, tu ne peux plus t’arrêter, tu ne dois pas » avec passage du verbe pouvoir nié avec complément à l’infinit au verbe devoir sans objet, ce qui renforce la nécessité d’avancer et de ne plus se laisser gouverner par le temps

Absence de repères temporels, signe de l’entrée dans l’éternité/néant de la mort l 2121 avec parallélisme de construction « plus de jour, plus de nuit »

Symbole de la roue embrasée : idée de circularité (vs linéarité du temps de la vie humaine), plusieurs références possibles « roue de la fortune » qui inverse le sort des vivants : le roi puissant devient faible, le roi vivant se meurt (cf jeu des répliques Vive le roi ! le roi est mort ! le roi se meurt dans scène étudiée précédemment), roue symbole important aussi dans le bouddhisme, symbole mystique et guide

III.La mort et la fin de la représentation

1.Mise en abyme de la représentation (théâtre dans le théâtre)

-Marguerite assume le rôle de metteur en scène comme le montre la didascalie l 2120

-elle démontre alors l’illusion théâtrale en montrant que rien n’est réel sur scène l 2129 « ses crocs sont en carton », l 2136 2137 « le gros camion…mirage », récurrence de l’idée de fausseté : « faux ruisseau », « fausse voix », « fausses voix » (tout n’est que décor, que bruitage), disparition des accessoires (« le gourdin »)

-le personnage lui-même n’existe que par l’incarnation de l’acteur d’où disparition des personnages qui continue : Marguerite puis le roi. Cette disparition a été précédée de la perte de la parole l 2144 2145, ce qui retire son pouvoir à l’acteur traditionnel. Témoigne de la volonté de faire du théâtre un « art total » (Artaud), doit être avant tout un spectacle où la parole ne joue pas un rôle primordial.

2.Théâtralisation de la mort

-disparition totale du décor de manière progressive : retour à un dépouillement de la scène imageant la disparition du royaume mais renvoyant le spectateur aussi à la réalité de la représentation : la pièce est finie, la scène se vide

-disparition même de l’éclairage puisque la scène baigne dans une « lumière grise », dans une « sorte de brume » : la couleur particulière de la lumière renvoie au néant, à l’indistinction entre noir et blanc mais elle permet aussi de replonger le spectateur progressivement dans le monde réel. Si Bérenger passe de la vie à la mort, le spectateur est incité à passer du spectacle à la salle, du théâtre à son quotidien.

-« c’était une agitation bien inutile » : soit un constat pessimiste, la vie ne vaut pas grand-chose, on s’agite pour rien, soit mourir n’est pas aussi terrible qu’on le pense comme on le constate finalement. C’est finalement peu de choses. Cette « agitation » est celle de la pièce mais aussi celle de la vie du roi, de la vie en général

-difficulté à mettre en scène comme le signale Jacques Mauclair qui a monté la pièce. Donc plus efficace sur le papier que sur scène. Du coup, possible interprétation des derniers mots présents dans la version écrite : « rideau » possible euphémisme pour désigner la mort de qqn, date de création qui ressemble à une sorte d’épitaphe

Conclusion : La fin de la pièce Le Roi se meurt matérialise sur scène le passage de la vie à la mort en multipliant les références parodiées (nocher, descente aux enfers, montée au Paradis) ou respectés (bouddhisme, philosophie orientale). Marguerite sert de guide à Bérenger qui doit renoncer aux derniers éléments qui le raccrochent encore à la vie. La mort du roi est alors la possibilité d’une réflexion sur la théâtralité, sur l’illusion théâtrale : de la vie à la mort, de la fiction à la réalité, Bérenger et le spectateur suivent un cheminement semblable. Au final, tout cela n’est que de la littérature comme le disait Ionesco précédemment et cette pièce, destinée à apprivoiser la mort, est jugée par son auteur comme un échec. Toutefois, cette pièce nous rappelle que la mort est inéluctable et que toute répétition est sans doute inutile puisque l’on ne pourra y échapper le moment venu.

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Merci :)
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